La Turquie et l'Europe
par Pierre Van Ommeslaegue
« Le débat actuel autour de l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne mérite d'être clarifié.
Deux questions sont à examiner :
- quelle Europe voulons-nous ? (cela renvoit conjoncturellement à la question de la constitution européenne);
- la Turquie est-elle européenne ? La deuxième question est sans doute la plus simple et sa réponse est non.
Géographiquement, historiquement, culturellement, la Turquie n'est non seulement pas européenne mais a toujours été une adversaire voire une ennemie de L'Europe.
Géographiquement, la plus grande partie de la Turquie se situe en Asie moyenne-orientale. Seule une petite partie de son territoire est en Europe (moins de 4%). Encore peut-on considérer que cela résulte d'une reconquista inachevée. La plus grande ville de Turquie, Istanbul, est certes dans sa partie européenne. Mais elle a perdu son statut de capitale au profit d'Ankara, plus centrale et asiatique, en 1923, à la proclamation de la république par Kemal Atatürk. Ce choix montre la nature asiatique et non européenne de la Turquie. Ses frontières terrestres sont avec la Syrie, l'Irak, l'Iran, l'Azerbaïdjan.
Historiquement, la Turquie est ennemie de l'Europe. Héritière de l'empire ottoman, elle a détruit l'empire byzantin, héritier de Rome. Ce n'est que grâce aux victoires de Lépante et à l'échec du siège de Vienne que l'Europe n'est pas devenue entièrement turque. Jusqu'en 1830, la Grèce, berceau de l'Europe était occupée par la Turquie. Sur son territoire de nombreux sites sont liés à l'histoire de l'Europe : Troie, Éphèse, Antioche, Nicée, Contantinople et sa basilique Sainte-Sophie. Mais l'apport gréco-romain ou chrétien a été balayé par l'arrivée des turcs, asiatiques, au 10ème siècle : Sainte-Sophie transformée en mosquée, disparition des chrétiens par génocide (arménien, assyriens) ou expulsion (orthodoxes).
Culturellement, la Turquie est musulmane et asiatique. Bien entendu le passage de Mustapha Kemal Atatürk au pouvoir a introduit la séparation de la religion et de l'État. Le port du voile dans les écoles publiques y reste interdit. Mais cette laïcité n'a vraiment pénétré que l'armée, gardienne de la tradition kemaliste. La société civile reste profondément musulmane et la Turquie n'échappe pas à la contagion islamiste. Outre les attentats antisémites et antioccidentaux de novembre 2003, on remarque des signes d'une réislamisation de l'État que l'armée peine à endiguer : catéchisme islamique obligatoire dans l'enseignement depuis 1982, arrivée au pouvoir des islamistes prétendument modérés de l'AKP. Le cas d'Istanbul que de nombreux touristes occidentaux visitent ne doit pas faire illusion. Si cette ville est ouverte sur l'occident, elle le doit à son histoire, à sa situation géographique, à ses activités touristiques et commerciales. Elle reste une exception. Le reste de la Turquie est asiatique.
Bien entendu il n'y a plus aujourd'hui l'antagonisme d'hier entre Turquie et Europe. Elle fait partie des pays musulmans de la Méditerranée, avec le Maroc et la Turquie, qui résistent, plus ou moins bien, à l'islamisme et incarnent un islam moderne sans renier leur culture propre. Il est de l'intérêt de l'Europe, et de la France en particulier qui a une histoire avec ces pays, de s'entendre et de nouer des liens avec eux. Mais la question est de savoir si, au-delà de traité d'alliance militaire et d'accords économiques, elle peut rejoindre une Europe tendant à l'intégration. Se pose alors la question de l'Europe que nous construisons.
Nous reviendrons prochainement sur l'analyse du traité constitutionnel qui nous est proposé. Mais, l'Alliance royale l'a déjà noté, le simple fait de parler de constitution signifie la volonté de créer un État européen. Ce que nous refusons parce que c'est une utopie qui peut devenir totalitaire. De plus ce traité a une orientation clairement fédéraliste. Or une telle construction n'est possible, si ça l'est, que si les pays qu'on fédère partagent un héritage commun. Pour l'Europe ce ne peut être que les héritages grec, romain et chrétien, même si la constitution refuse de les reconnaître. Et nous avons vu que la Turquie ne les partage pas. Il est symptomatique à cet égard que MM Giscard d'Estaing et Bayrou, fervents partisans de cette Europe fédérale, s'opposent à l'adhésion de la Turquie. Mais même dans le cas d'une Europe dans laquelle les pays, tout en tissant des liens de coopération et d'amitié plus étroits, conserveraient leur souveraineté, il est indispensable que tous parlent le même langage, partagent la même culture de base. L'héritage dont nous parlons est ce patrimoine commun qui permet aux peuples européens, malgré leurs différences, de sentir qu'ils appartiennent à une même histoire, qu'ils peuvent construire, en confiance, un avenir partagé.
Cette culture commune, nous ne la partageons pas avec les Turcs. Ils sont des voisins, ils peuvent être des amis, ils ne seront jamais de la famille. »
à 14:15